Il y a quelques années les Louvet donnèrent chez eux une grande fête et y firent un tel tintamarre que, vers trois heures du matin, Madame Trévins, Madame Altamont, Madame de Beaumont, et même Madame Marcia pourtant habituellement indifférente à ce genre de choses, après avoir en vain frappé à la porte des fêtards, finirent par téléphoner à la police. Deux agents furent dépêchés sur les lieux, bientôt rejoints par un serrurier assermenté qui les fit entrer.
C’est dans la cuisine que l’on découvrit le gros des invités, une douzaine environ, qui improvisaient un concert de musique contemporaine sous la direction du maître de maison. Celui-ci, vêtu d’un peignoir à rayures grises et vertes, les pieds dans des babouches de cuir, un abat-jour conique en guise de chapeau, était juché sur une chaise paillée et donnait la mesure, le bras gauche levé, l’index droit dressé près des lèvres, et répétant en pouffant de rire, à peu près toutes les secondes et demie : « chi va piano va sano, chi va sano va piano, chi va piano va sano, chi va sano va piano, etc. »
Affalés dans un divan qui n’avait aucune raison d’être dans ce local, ou vautrés sur des coussins, les interprètes suivaient les mimiques du chef d’orchestre, soit en frappant divers ustensiles de cuisson avec des fourchettes, des louches et des couteaux, soit en produisant avec leurs bouches des cris plus ou moins modulés. Les bruits les plus exaspérants étaient émis par Madame Louvet qui, assise au milieu d’une véritable mare, cognait l’une contre l’autre deux bouteilles de cidre bouché jusqu’à ce que l’un ou l’autre des bouchons saute tout seul. Deux invités, apparemment indifférents aux directives de Louvet, participaient à leur façon au concert ; l’un faisait fonctionner sans arrêt un de ces jouets appelés diable, tête de polichinelle montée sur un puissant ressort jaillissant à volonté du cube de bois dans lequel il est comprimé ; l’autre lapait le plus bruyamment possible une assiette creuse pleine de ce fromage frais que l’on appelle cervelle de canut.