Histoire du clown de Varsovie, 57

Le sol est couvert d’un linoléum rouge sombre. Les murs, garnis d’étagères où sont rangés les vêtements, les livres, la vaisselle, etc., sont peints en beige clair. Deux affiches aux couleurs très vives, sur le mur de droite, entre le lit d’enfant et la porte, les éclairent un peu : la première est le portrait d’un clown, avec un nez en balle de ping-pong, une mèche rouge carotte, un costume à carreaux, un gigantesque noeud papillon à pois et de longues chaussures très aplaties. (…)

En dehors des amis qu’elle s’est faits dans l’immeuble, Elzbieta ne connaît presque personne à Paris. Elle a perdu tout contact avec la Pologne et ne fréquente pas les Polonais exilés. Un seul vient régulièrement la voir, un homme plutôt âgé, au regard vide, avec une éternelle écharpe de flanelle blanche et une canne. De cet homme qui semble revenu de tout, elle dit qu’il fut avant la guerre le clown le plus populaire de Varsovie et que c’est lui qui est représenté sur l’affiche. Elle l’a rencontré il y a trois ans au square Anna de Noailles où elle surveillait son fils qui jouait au sable. Il vint s’asseoir sur le même banc qu’elle et elle s’aperçut qu’il lisait une édition polonaise des Filles du feuSylwia i inne opowiadania. Ils devinrent amis. Il vient deux fois par mois dîner chez elle. Comme il n’a plus une seule dent, elle le nourrit de lait chaud et de crèmes aux oeufs.

Il ne vit pas à Paris, mais dans un petit village appelé Nivillers, dans l’Oise, près de Beauvais, une maison sans étage, longue et basse, avec des fenêtres à petits carreaux multicolores. C’est là que le petit Mahmoud, qui a aujourd’hui neuf ans, vient de partir pour les vacances.

(Extrait CH. LVII, Madame Orlowska (Chambres de bonne, 11))