Le trois janvier mille neuf cent vingt-six, une dizaine de jours après l’incendie qui avait ravagé le boudoir de Madame Danglars, Célia Crespi, venant prendre son service vers sept heures du matin, trouva l’appartemen tvide. Les Danglars, apparemment, avaient jeté quelques objets de première nécessité dans trois valises et étaient partis sans prévenir.
La disparition d’un deuxième président à la cour d’appel ne saurait constituer un événement anodin et dès le lendemain les bruits commencèrent à courir sur ce que tout de suite on appela l’Affaire Danglars : était-il exacte que des menaces avaient été proférées contre le magistrat ? Etait-il exact qu’il était suivi depuis plus de deux mois par des policiers en civil ? Était-il exact qu’une perquisition avait été faite dans son bureau au Palais en dépit d’une interdiction formelle notifiée au Préfet de Police par le Garde des Sceaux lui-même ? Autant de questions que, journaux satiriques en tête, la grande presse posa avec son sens habituel des scandales et des affaires à sensation.
La réponse arriva une semaine plus tard : le ministère de l’Intérieur publia un communiqué annonçant que Berthe et Maximilien Danglars avaient été arrêtés le cinq janvier alors qu’ils tentaient de passer clandestinement en Suisse. Et l’on apprit avec stupéfaction que le haut magistrat et sa femme avaient commis, depuis la fin de la guerre, une trentaine de cambriolages plus audacieux les uns que les autres.
Ce n’est pas par intérêt que les Danglars volaient mais plutôt, à l’instar de tous ces cas décrits avec abondance de détails dans la littérature psychopathologique, parce que les dangers qu’ils encouraient en commettant ces vols leur procuraient une exaltation et une excitation de nature proprement sexuelle et d’une intensité exceptionnelle. Ce couple de grands bourgeois rigides qui avait toujours eu des rapports à la Gauthier Shandy (une fois par semaine, après avoir remonté la pendule, Maximilien Danglars accomplissait son devoir conjugal) découvrit que le fait de dérober en public un objet de grande valeur déclenchait chez l’un et chez l’autre une sorte d’ivresse libidinale qui devint très vite leur raison de vivre.