Vladislav était un peintre qui avait connu son heure de gloire à la fin des années trente. Il arriva pour la première fois aux « mardis » de Hutting habillé en moujik. Il portait sur la tête une espèce de bonnet écarlate, d’un drap extrêmement fin, avec un rebord de fourrure tout autour, excepté sur le front où était ménagé un espace d’environ dix centimètres dont le fond bleu céleste était recouvert d’une légère broderie ; et il fumait une pipe turque au long tuyau de maroquin orné de fils d’or et au fourneau d’ébène garni d’argent. Il commença par raconter comment il avait pratiqué la nécrophilie en Bretagne par un jour d’orage et comment il ne pouvait peindre que les pieds nus et reniflant un mouchoir imbibé d’absinthe et comment à la campagne après les pluies d’été il s’asseyait dans la boue tiède pour reprendre contact avec la mère nature et comment il mangeait de la viande crue qu’il mortifiait à la manière des Huns ce qui lui donne une saveur incomparable. Puis il étala sur le parquet un grand rouleau de toile vierge, la fixa avec une vingtaine de clous hâtivement plantés et invita l’assemblée à la piétiner de concert. Le résultat, dont les gris imprécis n’étaient pas sans rappeler les « diffuse grays de la dernière période de Laurence Hapi, fut immédiatement baptisé L’Homme aux semelles devant. L’assistance, éblouie, décida que Vladislav serait désormais le maître attitré des cérémonies et chacun se sépara avec la conviction d’avoir contribué à enfanter un chef d’œuvre.