Histoire du soldat de première classe le plus décoré d’Océanie, 79

 

Engagé volontaire au 28e régiment d’infanterie de marine (commandé par le célèbre colonel Arnhem Palmerston, surnommé Vieux Tonnerre parce qu’une mince cicatrice blanche sillonnait son visage comme s’il avait été frappé par la foudre), le deuxième classe Jeremy Bishop fut l’un de ces heureux élus : pour avoir, en 1942, lors de la sanglante bataille de la mer de Corail, repêché son lieutenant qui était tombé à la mer, il reçut, en même temps que la Victoria Cross, une lettre manuscrite d’Olivia Norvell qui se terminait par « je t’embrasse de tout mon petit cœur » suivi d’une dizaine de croix équivalant chacune à un baiser.

Portant cette lettre sur lui comme un talisman, Bishop se jura d’en recevoir une autre et pour ce faire multiplia les actions d’éclat : de Guadalcanal à Okinawa, en passant par Tarawa, les Gilbert, les Marshall, Guam, Bataan, les Mariannes et Iwo-Jima, il fit tant et si bien qu’il se retrouva à la fin de la guerre le soldat de première classe le plus décoré de toute l’Océanie.

Le mariage s’imposait entre ces deux idoles des jeunes et il fut célébré avec toute la pompe indiquée le vingt-six janvier 1946, jour de la fête nationale australienne. Plus de quarante-cinq mille personnes assistèrent à la bénédiction nuptiale qui fut donnée dans le grand stade de Melbourne par le cardinal Fringilli, alors vicaire œcuménique apostolique de l’Australasie et des Terres antarctiques. Puis la foule fut admise, moyennant dix dollars australiens par tête — soit près de soixante-dix francs — à pénétrer dans la nouvelle propriété du jeune couple et à défiler devant les cadeaux venus des cinq parties du monde : le Président des États-Unis avait offert les œuvres complètes de Nathaniel Hawthorne reliées en buffle ; Madame Plattner, de Brisbane, dactylographe, un dessin représentant les époux, exécuté uniquement avec des caractères de machine à écrire ; The Olivia Fan Club of Tasmania, soixante et onze souris blanches apprivoisées qui savaient se grouper de manière à former le nom d’Olivia ; et le ministre de la Défense, une corne de narval plus longue que celle que Sir Martin Frobisher offrit à la reine Elizabeth à son retour du Labrador. En payant dix dollars de plus on pouvait même entrer dans la chambre nuptiale pour y admirer le lit conjugal sculpté dans un tronc de séquoia, don conjoint de l’Association interprofessionnelle des Industries du Bois et Assimilés et du Syndicat national des Forestiers-Bûcherons. Le soir, enfin, au cours d’une gigantesque réception, Bing Crosby, qu’un avion spécial était allé chercher à Hollywood, chanta une adaptation de la Marche nuptiale composée en l’honneur des jeunes mariés par un des meilleurs élèves d’Ernst Krenek.