Il y a plus de cinquante ans que Smautf est au service de Bartlebooth. Bien qu’il s’intitule lui-même maître d’hôtel, ses fonctions ont plutôt été celles d’un valet de chambre ou d’un secrétaire ; ou, plus exactement encore, des deux en même temps : en fait, il fut surtout son compagnon de voyage, son factotum et, sinon son Sancho Pança, du moins son Passepartout (car il est vrai qu’il y avait du Phileas Fogg en Bartlebooth), tour à tour porteur, brosseur, barbier, chauffeur, guide, trésorier, agent de voyages et teneur de parapluie.
Les voyages de Bartlebooth, et subséquemment de Smautf, durèrent vingt ans, de mille neuf cent trente-cinq à mille neuf cent cinquante-quatre, et les menèrent d’une façon parfois capricieuse tout autour du monde. Dès mille neuf cent trente, Smautf commença à les préparer, réunissant les papiers nécessaires à l’obtention des visas, se documentant sur les formalités d’usage dans les différents pays traversés, ouvrant en divers endroits appropriés des comptes efficacement approvisionnés, rassemblant des guides, des cartes, des indicateurs horaires et des tarifs, retenant des chambres d’hôtel et des billets de bateaux. L’idée de Bartlebooth était d’aller peindre cinq cents marines dans cinq cents ports différents. Les ports furent choisis plus ou moins au hasard par Bartlebooth qui, feuilletant des atlas, des livres de géographie, des récits de voyages et des dépliants touristiques, cochait au fur et à mesure les endroits qui lui plaisaient. Smautf étudiait ensuite les moyens de s’y rendre et les possibilités de logement.