Histoire de la femme qui fonda une imprimerie en Syrie, 48

 

Comme Monsieur Jérôme, Madame Albin est revenue vivre rue Simon-Crubellier après en être longtemps restée éloignée. Peu après son mariage, non pas avec le Raymond Albin militaire, son premier fiancé, qu’elle quitta quelques semaines après l’incident de l’ascenseur, mais avec un René Albin, ouvrier typographe, sans autre lien qu’homonymique avec l’autre, elle quitta la France pour Damas, où son mari avait trouvé du travail dans une importante imprimerie. Leur but était de gagner le plus vite possible assez d’argent pour pouvoir revenir en France et s’y établir à leur compte.

Le protectorat français favorisa leur ambition, ou, plus exactement, l’accéléra en leur permettant, grâce à un système de prêt sans intérêts destiné à développer les investissements coloniaux, de monter une petite fabrique de livres scolaires qui ne tarda pas à prendre une certaine envergure. Lorsque la guerre éclata, les Albin jugèrent plus prudent de ne pas quitter la Syrie, où leur entreprise d’édition devint de plus en plus prospère, et en mille neuf cent quarante-cinq, ils s’apprêtaient à liquider leur affaire et à rentrer en France fortune faite, assurés de revenus plus que confortables, lorsque les émeutes antifrançaises et leur sévère répression anéantirent en un rien de temps tous leurs efforts : leur maison d’édition, devenue un des symboles de la présence française, fut incendiée par les Nationalistes, et quelques jours plus tard, le bombardement de la ville, par les troupes francobritanniques, détruisit le grand hôtel qu’ils avaient fait construire et dans lequel ils avaient investi plus des trois quarts de leur fortune.