Née en mille neuf cent trente à Sydney, Olivia Norvell devint à huit ans la plus adulée des enfants d’Australie lorsqu’elle interpréta, au Royal Theater, une adaptation de la Mascotte du Régiment dans laquelle elle reprenait le rôle que Shirley Temple avait créé au cinéma. Son triomphe fut tel que non seulement la pièce se joua à bureaux fermés pendant deux ans mais que, quand Olivia fit savoir, par quelques échos habilement diffusés, qu’elle avait commencé à répéter un nouveau rôle, celui d’Alice dans Un rêve d’Alice, lointainement inspiré de Lewis Carroll et écrit spécialement pour elle par un dramaturge confirmé venu tout exprès de Melbourne, toutes les places des deux cents représentations initialement prévues furent achetées six mois avant la première et la direction du théâtre dut ouvrir des listes d’attente pour les éventuelles représentations ultérieures.
Tout en laissant sa fille poursuivre ainsi sa fabuleuse carrière, Eleanor Norvell, sa mère, femme d’affaires avisée, intelligemment conseillée par un agent efficace, exploitait à fond l’immense popularité de la petite fille qui devint bientôt le mannequin le plus prisé du pays. Et l’Australie entière ne tarda pas à être inondée de petits journaux et d’affiches enjôleuses montrant Olivia en train de caresser un ours en peluche, ou de consulter sous l’oeil professionnel de parents attendris une encyclopédie plus grande qu’elle (Let your Child enter the Realm of Knowledge !) ou vêtue en petit poulbot avec une casquette à pont et un pantalon à bretelles, assise sur un bord de trottoir, jouant aux osselets avec trois sosies de Pim, Pam, Poum, pour une sorte d’ancêtre australien de la Prévention routière.
Bien que sa mère et son agent s’inquiétassent sans cesse des désastreuses conséquences que l’adolescence et plus encore la puberté ne manqueraient pas d’avoir sur la carrière de cette petite poupée vivante, Olivia atteignit l’âge de seize ans sans avoir un instant cessé d’être un objet d’adoration tel que dans certaines localités de la côte ouest des émeutes éclataient lorsque l’hebdomadaire crypto-publicitaire qui détenait l’exclusivité de ses photos n’arrivait pas au courrier prévu. Et c’est alors, triomphe suprême, qu’elle épousa Jeremy Bishop.
Comme toutes les fillettes et les jeunes filles d’Australie, Olivia avait évidemment été entre 1940 et 1945 marraine de guerre de plusieurs soldats. En fait, il s’était agi pour elle de régiments entiers auxquels elle envoyait sa photographie dédicacée ; de plus, une fois par mois, elle écrivait une petite lettre à un simple soldat ou à un sousofficier qui s’était signalé par un fait d’armes plus ou moins héroïque.
Engagé volontaire au 28e régiment d’infanterie de marine (commandé par le célèbre colonel Arnhem Palmerston, surnommé Vieux Tonnerre parce qu’une mince cicatrice blanche sillonnait son visage comme s’il avait été frappé par la foudre), le deuxième classe Jeremy Bishop fut l’un de ces heureux élus : pour avoir, en 1942, lors de la sanglante bataille de la mer de Corail, repêché son lieutenant qui était tombé à la mer, il reçut, en même temps que la Victoria Cross, une lettre manuscrite d’Olivia Norvell qui se terminait par « je t’embrasse de tout mon petit coeur » suivi d’une dizaine de croix équivalant chacune à un baiser.
Portant cette lettre sur lui comme un talisman, Bishop se jura d’en recevoir une autre et pour ce faire multiplia les actions d’éclat : de Guadalcanal à Okinawa, en passant par Tarawa, les Gilbert, les Marshall, Guam, Bataan, les Mariannes et Iwo-Jima, il fit tant et si bien qu’il se retrouva à la fin de la guerre le soldat de première classe le plus décoré de toute l’Océanie.
Le mariage s’imposait entre ces deux idoles des jeunes et il fut célébré avec toute la pompe indiquée le vingt-six janvier 1946, jour de la fête nationale australienne. Plus de quarante-cinq mille personnes assistèrent à la bénédiction nuptiale qui fut donnée dans le grand stade de Melbourne par le cardinal Fringilli, alors vicaire oecuménique apostolique de l’Australasie et des Terres antarctiques. Puis la foule fut admise, moyennant dix dollars australiens par tête — soit près de soixante-dix francs — à pénétrer dans la nouvelle propriété du jeune couple et à défiler devant les cadeaux venus des cinq parties du monde : le Président des États-Unis avait offert les oeuvres complètes de Nathaniel Hawthorne reliées en buffle ; Madame Plattner, de Brisbane, dactylographe, un dessin représentant les époux, exécuté uniquement avec des caractères de machine à écrire ; The Olivia Fan Club of Tasmania, soixante et onze souris blanches apprivoisées qui savaient se grouper de manière à former le nom d’Olivia ; et le ministre de la Défense, une corne de narval plus longue que celle que Sir Martin Frobisher offrit à la reine Elizabeth à son retour du Labrador. En payant dix dollars de plus on pouvait même entrer dans la chambre nuptiale pour y admirer le lit conjugal sculpté dans un tronc de séquoia, don conjoint de l’Association interprofessionnelle des Industries du Bois et Assimilés et du Syndicat national des Forestiers-Bûcherons. Le soir, enfin, au cours d’une gigantesque réception, Bing Crosby, qu’un avion spécial était allé chercher à Hollywood, chanta une adaptation de la Marche nuptiale composée en l’honneur des jeunes mariés par un des meilleurs élèves d’Ernst Krenek.
Je retrouve toujours quelque chose d’intéressant dans vos articles !