Histoire du violoniste jaloux, 95

 

[…] Le quatrième enfin était une étude au pastel de Joseph Ducreux pour le portrait du violoniste Beppo. Ce virtuose italien dont la popularité resta vive pendant la période révolutionnaire (« Ze zouerai du violone », répondit-il quand, sous la Terreur, on lui demanda comment il comptait servir la Nation), était arrivé en France au début du règne de Louis XVI. Il ambitionnait alors d’être nommé Violon du Roi, mais ce fut Louis Guéné qui fut choisi. Dévoré par la jalousie, Beppo rêvait d’éclipser en tout son rival : ayant appris que François Dumont venait de peindre une miniature sur ivoire représentant Guéné, Beppo se précipita chez Joseph Ducreux et lui commanda son portrait. Le peintre accepta, mais il apparut bientôt que le fougueux instrumentiste était incapable de garder la pose plus de quelques secondes ; le miniaturiste, après avoir vainement tenté de travailler en présence de ce modèle volubile et excité qui l’interrompait à tout instant, préféra bientôt renoncer, et il ne reste de la commande que cette esquisse préparatoire où Beppo, débraillé, les yeux au ciel, le violon bien en main, l’archet prêt à attaquer, s’efforce apparemment d’avoir l’air encore plus inspiré que son ennemi.