L’action se passe dans une région qui évoque assez bien les Lacs italiens, non loin d’une ville imaginaire que l’auteur appelle Valdrade. Le narrateur est un peintre. Alors qu’il travaille dans la campagne, une petite bergère vient le trouver. Elle a entendu un grand cri provenant de la somptueuse villa récemment louée par un richissime diamantaire suisse nommé Oswald Zeitgeber. Accompagné de la petite fille, le peintre pénètre dans la maison et découvre la victime : le joaillier, vêtu d’un uniforme de fantaisie, foudroyé, électrocuté, à côté du téléphone. Au centre de la pièce se trouve un escabeau et, accrochée à l’anneau du lustre, une corde se terminant par un noeud coulant. Les poissons rouges dans le bocal sont morts.
L’inspecteur Waldémar, auquel le peintre-narrateur sert complaisamment de confident, mène l’enquête. Il fouille consciencieusement chaque pièce de la villa, fait procéder à plusieurs examens de laboratoire. C’est à l’intérieur du pupitre d’écolier que sont rassemblés les indices les plus révélateurs : on y trouve, petit a, une tarentule vivante, petit b, la petite annonce concernant la location de la villa, petit c, un programme pour un bal masqué, donné le soir même du crime, avec la présence exceptionnelle du chanteur Mickey Malleville, et petit d, une enveloppecontenant une feuille blanche sur laquelle a simplement été collé l’entrefilet suivant, provenant d’un quotidien africain :
BAMAKO (A.A.P.). 16 juin. Un charnier humain contenant les squelettes d’au moins 49 personnes a été découvert dans la région de Fouïdra. D’après les premières études, il semble que les cadavres ont été ensevelis il y a 30 ans. Une enquête est en cours.
Trois personnes ont ce jour-là rendu visite à Oswald Zeitgeber. Elles sont arrivées à peu près en même temps — le peintre les a vus passer les unes après les autres à quelques minutes d’intervalle — et sont reparties ensemble. Toutes trois étaient déguisées à l’occasion du bal costumé. Elles furent identifiées rapidement et interrogées séparément.
La première personne qui se présente est la dame quakeresse. Elle se nomme Madame Quaston. Elle prétend être venue se proposer comme femme de ménage, mais personne ne peut le confirmer. De plus, l’enquête ne tardera pas à révéler que sa fille était la femme de chambre de Madame Zeitgeber et qu’elle est morte noyée dans des circonstances imparfaitement élucidées.
Le second visiteur est celui qui porte le costume debouffon. Il se nomme Jarrier ; c’est le propriétaire de la villa. Il est venu, dit-il, voir si son locataire était bien installé et lui faire signer un inventaire des meubles. Madame Quaston a assisté a leur entretien et peut confirmer ses dires ; elle ajoute qu’à peine arrivé, Jarrier a manqué s’étaler sur le parquet fraîchement ciré, s’est rattrapé à la fenêtre et a à moitié renversé le bocal de poissons rouges sur une carpette posée près du téléphone mural.
Le troisième visiteur est le gros poupon : c’est le chanteur Mickey Malleville. D’emblée il avoue qu’il n’est autre que le gendre d’Oswald Zeitgeber et qu’il est venu pour lui emprunter de l’argent. Jarrier et Madame Quaston précisent tous deux qu’à peine le chanteur entré, le diamantaire les a priés de les laisser seuls. Un peu plus tard, il les a fait revenir, s’est excusé de ne pas les accompagner au bal, mais a promis de les rejoindre dès qu’il aurait donné quelques coups de téléphone urgents. Le peintre a revu passer les trois masques et même, dit-il, les voyant s’avancer de front sur toute la largeur de la petite route, n’a pu s’empêcher de ressentir une impression désagréable. Un heure plus tard environ, la petite bergère a entendu crier.
Les circonstances de la mort sont élucidées sans aucun problème : il y avait une longue plaque d’acier sous la carpette : en allant téléphoner, Zeitgeber déclencha un court-circuit qui lui fut fatal. Seul Jarrier a pu installer cette plaque d’acier et l’on comprend aussitôt que c’est pour favoriser l’électrocution qu’il s’est arrangé, à peine entré, pour inonder d’eau la carpette ; on découvre alors deuxdétails plus significatifs encore : d’une part, c’est lui qui a fourni à Zeitgeber son déguisement pour le bal costumé, et
les fers et les éperons des bottes et toutes les plaques métalliques de la veste devaient eux aussi assurer le passage du courant ; d’autre part, et surtout, il a manipulé l’installation téléphonique pour que ce court-circuit mortel ne puisse se produire que si la victime désignée par son déguisement même — Zeitgeber devenu ultra-conducteur — composait un numéro particulier : celui du cabinet médical où Madame Jarrier exerçait !
Confronté à ces preuves accablantes, Jarrier avoue presque tout de suite : d’une jalousie maladive, il s’est aperçu qu’Oswald Zeitgeber, dont le donjuanisme est bien connu dans toute la région, tourne autour de sa femme. Voulant en avoir le coeur net, il met au point ce dispositif homicide qui ne fonctionnera que si le bijoutier est effectivement coupable, c’est-à-dire s’il tente de téléphoner au cabinet médical.
Même s’il apparaît que le mobile était sans doute imaginaire — Madame Jarrier pesant cent quarante kilos et l’expression « tourner autour » devant être ici prise au pied de la lettre — il n’empêche pas moins que Jarrier a prémédité cet assassinat : il est inculpé, arrêté et incarcéré. Mais cela ne satisfait évidemment ni le détective ni le lecteur : rien n’explique la mort des poissons rouges, ni la corde de pendu, ni la tarentule, ni l’enveloppe avec son entrefilet africain, ni l’ultime découverte de Waldémar : une longue épingle, comme une épingle à chapeau mais sans sa tête, que l’on découvre enfoncée dans le pot deréséda. Quant aux examens de laboratoire, ils apportent deux révélations : d’une part que les poissons ont été empoisonnés à l’aide d’une substance à l’action ultrarapide, la fibrotoxine ; d’autre part qu’il y a à l’extrémité de l’épingle des traces d’un poison beaucoup plus lent, l’ergohydantoïne.
Au terme de quelques péripéties secondaires, et après qu’ont été envisagées et écartées plusieurs fausses pistes suggérant la culpabilité de Madame Jarrier, de Madame Zeitgeber, du peintre, de la petite bergère et d’un des organisateurs du bal costumé, la solution perverse et polymorphe de ce casse-tête complaisant est enfin trouvée et permet à l’inspecteur Waldémar, au cours d’une de ces réunions sur les lieux mêmes du crime, en présence de tous les acteurs restés vivants, sans lesquelles un roman policier ne serait pas un roman policier, de reconstituer brillamment toute l’affaire : évidemment, tous les trois sont coupables, et chacun est animé d’un mobile différent.
Madame Quaston — dont la fille, poursuivie par le vieux débauché, fut contrainte de se jeter à l’eau pour sauvegarder son honneur — s’est présentée au diamantaire en se faisant passer pour une voyante et a entrepris de lui lire les lignes de la main : elle en a profité pour le piquer avec son épingle enduite de ce poison dont elle savait qu’il mettrait un certain temps à agir. Puis elle a dissimulé l’aiguille dans le pot de réséda et placé la tarentule, jusqu’alors cachée dans le bouchon de son bocal de pickles, dans le pupitre : elle savait que la piqûre de la tarentule provoque des réactions voisines de cellesde son poison, et tout en étant consciente que ce stratagème finirait par être dévoilé, pensait, plutôt naïvement, qu’il égarerait suffisamment longtemps les enquêteurs pour lui permettre de s’enfuir impunément.
Mickey Malleville, lui, le gendre de la victime, chanteur raté criblé de dettes, incapable de faire face aux dépenses extravagantes de la fille du joaillier, une écervelée habituée aux yachts, aux breitschwanz et au caviar, savait que seule la mort de son beau-père pouvait le sauver d’une situation de jour en jour plus inextricable : il a négligemment versé dans la carafe d’eau le contenu d’un petit flacon de fibrotoxine caché dans la tétine de son biberon géant.
Mais le fin mot de cette affaire, son rebondissement final, son renversement ultime, sa révélation dernière, sa chute, est ailleurs : la lettre que lisait Oswald Zeitgeber signait son arrêt de mort : ce charnier récemment découvert en Afrique, c’était tout ce qui restait d’un village révolté dont il avait fait tuer toute la population et qu’il avait fait raser avant d’aller piller un fabuleux cimetière d’éléphants. C’est de ce crime perpétré de sang-froid que provenait sa fortune colossale. L’homme qui lui envoyait cette lettre l’avait traqué pendant vingt ans, cherchant sans trêve les preuves de sa culpabilité : il les détenait désormais et la nouvelle paraîtrait dès le lendemain dans tous les journaux suisses. Zeitgeber en eut confirmation en téléphonant à ceux de ses collaborateurs qui avaient été ses complices dans cette vieille affaire et qui, commelui, avaient reçu la lettre : à tous, le scandale ne laissait d’autre issue que la mort.
Zeitgeber, donc, alla chercher un escabeau et une corde pour se pendre. Mais d’abord, peut-être avec le sentiment superstitieux qu’il lui fallait accomplir une bonne action avant de mourir, il vit que les poissons rouges manquaient d’eau et vida la carafe d’eau dans le bocal que Jarrier avait volontairement renversé en arrivant. Ensuite il prépara sa corde. Mais déjà les premiers symptômes de l’empoisonnement par l’ergohydantoïne (nausées, sueurs froides, crampes d’estomac, palpitations) l’avaient assailli et, plié en deux de douleur, il appela la doctoresse — pas du tout parce qu’il était amoureux d’elle (en vérité, c’était plutôt la petite bergère aux pieds nus qu’il lorgnait) mais pour lui demander secours.