Histoire du boxeur noir qui ne gagna pas un seul match, 40

A un portemanteau en bois tourné est accrochée une robe de chambre de satin vert sur le dos de laquelle est brodée une silhouette de chat ainsi que le symbole représentant aux cartes le pique. Selon Béatrice Breidel, cette robe d’intérieur dont il arrive encore à sa grand-mère de se servir parfois, aurait été le peignoir de match d’un boxeur américain nommé Cat Spade, que sa grand-mère aurait rencontré lors de sa tournée aux Etats-Unis et qui aurait été son amant. Anne Breidel est en complet désaccord avec cette version. Il est exact qu’il y eut dans les années trente un boxeur noir nommé Cat Spade. Sa carrière fut extrêmement courte. Vainqueur du tournoi de boxe interarmes en mille neuf cent vingt-neuf, il quitta l’armée pour devenir professionnel et fut successivement battu par Gene Tunney, Jack Delaney et Jack Dempsey, qui était pourtant en fin de carrière. Aussi retourna-t-il dans l’armée. Il est douteux qu’il ait fréquenté les mêmes milieux que Véra Orlova et même s’ils s’étaient rencontrés, jamais cette Russe blanche aux préjugés tenaces ne se serait donnée à un Noir, fût-il un superbe poids lourd. L’explication d’Anne Breidel est différente mais se fonde également sur les nombreuses anecdotes racontant la vie amoureuse de son aïeule : la robe de chambre serait effectivement le cadeau d’un de ses amants, un professeur d’histoire au Carson Collège de New York, Arnold Flexner, auteur d’une thèse remarquée sur Les Voyages de Tavernier et de Chardin et l’image de la Perse en Europe de Scudéry à Montesquieu et, sous divers pseudonymes — Morty Rowlands, Kex Camelot, Trim Jinemewicz, James W. London, Harvey Elliot —, de romans policiers assaisonnés de scènes sinon pornographiques du moins assez franchement libertines : Meurtres à Pigalle, Nuit chaude à Ankara, etc. Ils se seraient rencontrés à Cincinnati, Ohio, où Véra Orlova avait été engagée pour chanter le rôle de Blondine dans Die Entführung aus dem Sérail. Indépendamment de leur résonance sexuelle, qu’ Anne Breidel ne mentionne qu’en passant, le chat et le pique feraient directement allusion, selon elle, au plus célèbre roman de Flexner, Le Septième Crack de Saratoga, histoire d’un pickpocket opérant sur les champs de course, que son adresse et sa souplesse ont fait surnommer le Chat et qui se trouve mêlé malgré lui à une enquête criminelle qu’il résout avec malice et brio.

(Extrait CH. XL, Beaumont, 4)

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