Le Russe s’appelait en fait Abel Speiss. C’était un Alsacien sentimental, ancien vétérinaire aux armées, qui occupait ses loisirs en répondant à tous les petits concours publiés dans les journaux. Il résolvait avec une facilité déconcertante les devinettes :
Trois Russes ont un frère. Ce frère meurt sans laisser de frères. Comment est-ce possible ?
les colles historiques
Qui était l’ami de John Leland ?
Qui fut menacé par une action de chemin de fer ?
Qui était Sheraton ?
Qui rasa la barbe du vieillard ?
les « d’un mot à l’autre »
VIN HOMME POÈME
VAN GOMME POÈTE
VAU GEMME PRÊTE
EAU FEMME PROTE
PROSE
les problèmes mathématiques
Prudence a 24 ans. Elle a deux fois l’âge que son mari avait quand elle avait l’âge que son mari a. Quel âge a son mari ?
Écrivez le chiffre 120 en vous servant de quatre « 8 »
les anagrammes
MARIE = AIMER
SPARTE = TRÉPAS
NICOMÈDE = COMÉDIEN
les problèmes de logique
Qu’est-ce qui vient après U D T Q C S S H ?
Quel est l’intrus dans l’énumération suivante : français, court, polysyllabique, écrit, visible, imprimé, masculin, mot, singulier, américain, intrus ?
les mots carrés, croisés, triangulaires, à rallonges (a, ai, mai, mari, marin, marine, martine, martinet), à tiroirs, etc., et même les « questions subsidiaires », ces terreurs de tous les amateurs.
Sa grande spécialité était les cryptogrammes. Mais s’il avait triomphalement remporté le Grand Concours National doté de TROIS MILLE FRANCS de prix, organisé par le Réveil de Vienne et Romans, en découvrant que le message
aeeeil ihnalz ruiopn toeedt zaemen eeuart odxhnp trvree noupvg eedgnc estlev artuee arnuro ennios ouitse spesdr erssur mtqssl
dissimulait le premier couplet de La Marseillaise, il n’avait jamais pu déchiffrer l’énigme posée par la revue le Chien français
t’cea uc tsel rs n neo rt aluot ia ouna s ilel- -rc oal ei ntoi
et sa seule consolation était qu’aucun autre concurrent n’y était arrivé et que la revue avait dû se résoudre à ne pas décerner de premier prix.
En dehors des rébus et des logogriphes, le Russe vivait une autre passion : il était amoureux à la folie de Madame Hardy, la femme du négociant marseillais en huile d’olive, une matrone au doux visage dont la lèvre supérieure s’ornait d’une ombre de moustache. Il cherchait conseil auprès de tous les gens de l’immeuble, mais en dépit des encouragements que tous lui prodiguèrent, il n’osa jamais — comme il le disait lui-même — « déclarer sa flamme ».